Plus rien ne va à la mairie de Gagnoa. Depuis bientôt neuf mois, le Conseil municipal de la ville est corrodé par une crise profonde qui a conduit aujourd'hui à une totale inertie au niveau de son fonctionnement. Conséquence : la municipalité est introuvable. Sur six adjoints au maire, seulement deux résident effectivement à Gagnoa. Cela, depuis que la guerre a commencé. Pourquoi cette situation ? Il y a quelques mois, le maire de la commune, Roger Gnohité, élu le 25 mars 2001 sous la bannière du Rassemblement des Républicains (RDR) claquait la porte de cette formation politique pour créer un autre parti, l'Union des Patriotes Républicains (UPR), dont il est le premier responsable. Cette situation a créé un conflit au niveau du Conseil municipal de la ville majoritairement dominé par le RDR. "Nous pensons que Monsieur Gnohité et son Conseil municipal ont été élus sous la bannière du RDR avec un programme précis qui est "Vivre Ensemble". Maintenant qu'il a choisi de créer son parti, il aurait dû, dignement, quitté la tête de la mairie. Ce qu'il n'a pas fait", soutient M. Diaby Moustapha, premier adjoint au maire qui, selon ses dires, a dû quitter la ville dès les premières heures de l'insurrection militaire. Aujourd'hui, il se trouve que le Conseil de Gagnoa est bloqué. Convoqués le vendredi 06 juin dernier, les membres du Conseil municipal ont répondu à l'appel. Mais, il s'agissait pour les Conseillers municipaux du RDR de venir poser le "préalable de la démission du maire jusqu'à nouvel ordre".
Suspension et pas démission
Les Conseillers municipaux d'obédience RDR, ont soutenu ne plus se reconnaître dans le nouveau programme de gestion de la commune, influencé désormais par le nouveau choix politique du maire. Ce jour, M. Lialy Faustin Zogoury, Secrétaire général de la mairie a pris note de la décision des Conseillers RDR. Par contre, il leur a demandé de notifier "leur démission du Conseil municipal" au Préfet. M. Koné Mamadou, conseiller a alors pris la parole pour préciser de nouveau qu'ils ne sont démissionnaires. Il a dit qu'il s'agissait d'une "suspension de participation" et non d'une démission. Et que leur décision s'appuyait sur des dispositions de la Loi pour bloquer la marche du Conseil. En effet, sur les quarante-deux conseillers que compte actuellement la mairie après le décès de l'un d'entre eux en cours de mandat, trente-quatre sont du parti des Républicains, six revendiquent leur appartenance au FPI, parmi lesquels, seulement quatre ou trois ont pris l'habitude de siéger effectivement. Le PDCI-RDA compte seulement deux conseillers municipaux qui ne partagent pas la démarche tribale de Gnohité. Le RDR, aujourd'hui, ne peut plus compter sur Roger Gnohité et son troisième adjoint, M. Goprou Roland, qui dit avoir pris la décision de "soutenir son frère". Ces deux voix font défection. Il y a donc trente-trois conseillers qui ont décidé de suspendre leur participation au Conseil municipal. La mairie de Gagnoa ne peut plus fonctionner. Il n'y a plus de décaissement, ni de réunion légale de l'équipe municipale. "C'est une logique que nous avons choisie délibérément pour arriver à une situation de blocage. C'est un engagement que nous avons pris, parce que nous ne nous reconnaissons plus dans le revirement du maire Gnohité. La tutelle doit donc prendre ses responsabilités", explique M. Diaby Moustapha. Que peut faire alors le Colonel-major Issa Diakité, ministre de l'Administration du territoire ? La loi prévoit plusieurs cas, en général. Mais, pour la situation précise du Conseil municipal de Gagnoa, nous avons interrogé le Code communal qui traite de la question. En son article 47, la loi n°80-1180 du 17 octobre 1980, relative à l'Organisation municipale, modifiée par les lois n°85-578 du 29 juillet 1985, 95-608 et 95-611 du 3 août 1995 stipule : "En cas de dissension grave entre le maire et le Conseil municipal mettant en péril le fonctionnement normal et la gestion de la commune, l'autorité de tutelle rend compte par une communication en Conseil des ministres qui autorise éventuellement la suspension du Conseil municipal". Y a-t-il "dissension grave" entre le maire et son Conseil municipal ? La réponse ne peut être que positive. Car entre Roger Gnohité et trente-trois de ses conseillers dont cinq adjoints au maire, membres de la municipalité, le courant ne passe plus. Pis, la collaboration a pris fin. Tout le monde s'en remet à la décision du ministre Issa Diakité. En son article 161, le Code électoral ivoirien précise ce que le ministre de tutelle doit faire pour rendre fonctionnelle la mairie de Gagnoa et éviter les préjudices inutiles à la population : "La vacance de la moitié au moins des sièges d'un Conseil municipal par décès, démission ou toute autre cause, est constatée immédiatement par l'autorité administrative ou à la demande du tiers des Conseillers municipaux. Il est procédé au renouvellement intégral du Conseil municipal dans les trois mois, à compter de la nomination de la délégation spéciale, conformément à la loi relative à l'organisation municipale". Dès lors, il est clair que le ministre Issa Diakité doit sévir et ramener le maire Gnohité à la raison. Si l'on s'en tient à la méthode appliquée par les conseillers municipaux RDR, rien ne peut envisager un redémarrage des travaux du Conseil municipal. Et donc au plan des investissements et des décaissements de fonds, les adjoints au maire ne pourront pas apposer leurs signatures auprès de celle du maire actuel.
"De deux maux, le moindre"
Bien mieux, il n'y aura plus de réunions de Conseil municipal pour dégager le cadre général de travail de la municipalité. L'article 31 de la loi n°85-576 du 29 juillet 1985 impose cette pratique comme indispensable au bon fonctionnement de la mairie: "le Conseil municipal se réunit au moins une fois par trimestre". Pourtant, trente-trois conseillers opposent une ferme réticence à participer aux réunions du Conseil. C'est donc dire que la "dissension grave" qui met "en péril le fonctionnement normal de la gestion de la commune" est perceptible. Si Roger Gnohité ne démissionne pas, il devra être démis. C'est ce que prévoit la loi de 1995, qui, en son article 45 dit qu'une Délégation spéciale chargée de remplir les fonctions, est nommée par l'autorité de tutelle dans les quinze jours qui suivent la dissolution ou la suspension. Ce que Gnohité et ses conseillers doivent craindre, c'est que la loi précise en son article 48 que "les membres du Conseil dissout ne peuvent, à nouveau, poser leur candidature aux élections partielles municipales qui suivent immédiatement la dissolution. Pour M. Diaby, il n'est pas question pour les conseillers du RDR de "démissionner". "Nous avons plutôt suspendu notre participation au Conseil municipal, précise-t-il. Nos dotations de carburants ont été suspendues. Nos bureaux ont été fermés. Plusieurs conseillers municipaux ont vu leurs maisons perquisitionnées sur ordre du maire Gnohité. Il nous est impossible de travailler dans cette atmosphère. Si la tutelle se saisit de l'affaire, nous observerons. Dans tous les cas, de deux maux, nous préférons choisir le moindre". A San-Pedro, où un problème s'est posé récemment entre le maire Nabo Clément et six de ses adjoints, le ministre Issa Diakité a mis de l'ordre. Par l'arrêté ministériel n° 087/MEMAT/DGDAT pour un mois pour "refus de remplir sans excuses valables" les fonctions qui leur sont dévolues. En attendant la décision du ministre Issa Diakité, la mairie de Gagnoa continue de vivre sans tête. Mais pour combien de temps encore?
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